Pour une autre économie du livre


Dans un monde où la dématérialisation et la centralisation des échanges gagnent chaque jour un peu plus de terrain, où l’invisibilisation et la précarité des acteurs de l’art et de la culture vont croissant, la question de la diffusion du livre est d’une brûlante actualité.

Le modèle des grandes plateformes de vente en ligne, qui mine les librairies indépendantes de proximité, est devenu un sujet médiatique analysé et critiqué en détails. Des rassemblements de maisons d’édition, parfois même des diffuseurs-distributeurs, ont annoncé en 2020 leur boycott d’Amazon.

Aussi encourageante que soit cette démarche, l’arbre cache pourtant une forêt de complexité.

La « question Amazon » agite évidemment le monde de l’édition depuis nombre d’années, mais la perspective du boycott a finalement été exclue des débats du Syndicat des Éditeurs Alternatifs pour une raison simple : elle est tout simplement illusoire, légalement et techniquement. D’une part, parce que le refus de vente est passible de sanctions pénales. D’autre part, parce que même en cas de boycott d’Amazon par une maison d’édition, la plateforme continuera de référencer les titres de cet éditeur qui seront alors vendus par des tiers, particuliers ou professionnels, parfois même par des librairies indépendantes.

Si Amazon incarne mieux que n’importe quelle autre entreprise le caractère mortifère de toute tentative d’industrialisation du goût et de la pensée, nos préoccupations sont loin de se résumer à ce cas exclusif. Les chaînes de type FNAC, Cultura et autres Espaces Culturels Leclerc, prennent également part à des dynamiques toxiques : centralisation des achats et automatisation des réassorts déresponsabilisant les libraires, accélération des flux jusqu’à l’absurde, disparition du conseil, gestion stakhanoviste du personnel, disparition d’emplois de centre-villes, pratiques non-respectueuses de l’environnement, etc. Et si chaque chaîne a sa stratégie propre, elles participent toutes d’une réduction drastique de la diversité des expériences sensibles et intellectuelles. Précisément celles que nous tentons de faire exister, comme autant d’élargissements à des lectures plus complexes et plus fines de notre monde.
Par ailleurs, si notre rassemblement sous la forme d’un syndicat s’est articulé autour d’engagements communs, nos différences d’échelles et de fonctionnements — de la micro-édition associative jusqu’à des entreprises structurées tirant à plusieurs milliers d’exemplaires —, nous placent inégalement sur cet échiquier des positions commerciales. Ainsi, les grandes enseignes précitées peuvent représenter une part non négligeable de l’économie de certains (mais seulement sur quelques rares titres), tandis que d’autres catalogues restent invisibles en dehors des dix librairies les plus engagées.

Alors, si la librairie indépendante de proximité reste le lieu déterminant d’accompagnement de la majorité de nos livres, l’économie des plus minoritaires d’entre nous repose bien plus sur la vente directe, en ligne et surtout lors des événements publics (salons, festivals et expositions).

Depuis quarante ans, la loi relative au prix unique du livre permet qu’un ouvrage neuf soit vendu au même prix partout, tandis que chaque librairie est dans l’obligation d’honorer toute commande sans frais supplémentaire. Aucun argument ne saurait donc offrir une quelconque préférence à Amazon ou aux grandes chaînes franchisées. Choisir les librairies indépendantes, préférer la commande directe, fréquenter les salons et festivals sont autant d’alternatives pour encourager la pluralité des rapports au livre, pour soutenir des modèles plus sobres et plus vertueux, et ainsi œuvrer à un monde plus désirable.

Le SEA
www.lesea.fr
Avril 2021